24 Février 2022. Le président russe Vladimir Poutine entame une offensive militaire envers l’Ukraine, plongeant tout le pays et ses habitants dans un conflit armé. Du jour au lendemain, la société civile doit apprendre à vivre avec la destruction, la guerre, la peur des bombes, la restriction, la pénurie des ressources et les conditions précaires qui en découlent inexorablement. Les populations résidant au plus proche de la frontière russe intensifient leur fuite vers l’Ouest ainsi que vers les pays européens voisins, dont la Pologne. Dans ce contexte, le Haut Comité Français pour la Résilience Nationale (HCFRN) a recueilli le témoignage de Natalia Alekseeva, adjointe au maire de Lviv, lors du colloque intitulé “Conflit hybride, guerre d’intensité, la place de la Résilience et de la Défense Civile” organisé le 7 décembre 2023 au siège de la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale (DGGN). Ce témoignage nous donne un aperçu  de la manière dont les villes ukrainiennes ont géré – et gèrent encore aujourd’hui – la crise, les populations, et plus largement les  situations d’urgence auxquelles est confronté un pays en guerre.

Image: Carte de localisation de Lviv en Ukraine – © HCFRN

La ville de Lviv n’a pas été choisie au hasard. Située à 70 kilomètres de la frontière polonaise avec une population autour de 780 000 habitants (avant le conflit) et une superficie de 315 km2, elle se situe alors à une centaine de kilomètres de la ligne de front. Au niveau de cette dernière, les bombardements sont opérés de jour comme de nuit, les Russes cherchant à exploiter la vulnérabilité des civils durant leur sommeil. Beaucoup de personnes sont tuées, ou laissées sans domicile durant les premières semaines de l’agression. 

Au commencement de la guerre, Lviv devient ainsi un point de transit pour des centaines de milliers de personnes, et en logera plus de 250 000 au total sur les premiers mois. Dans ces conditions, l’urgence se porte naturellement sur la stratégie à mettre en œuvre pour maintenir les services essentiels de la ville en fonctionnement, pour éviter à tout prix les pénuries alimentaires, les pénuries de carburant et les faillites bancaires. En parallèle, la nécessité de maintenir l’ordre s’impose comme une priorité. C’est ainsi qu’en moins d’une semaine, la municipalité a dû mettre en place des algorithmes pour gérer, rationner et indiquer au moyen d’une application les stations possédant du carburant, en plus de réserver une partie du stock pour les véhicules d’urgence et les transports publics. Les banques et les supermarchés rationnent également l’accès aux produits de première nécessité et l’accès aux fonds. Concernant le maintien de l’ordre, 6000 volontaires sont recrutés pour assister la police dans les patrouilles, un système toujours en vigueur 2 ans après, bien que le nombre de volontaires ait été revu à la baisse. 

Dans le même temps, la priorité se focalise vers l’organisation des refuges et la gestion hospitalière pour accueillir les premiers blessés en provenance du front. Les coupures de courant étant fréquentes, des générateurs de secours sont mis en service pour assurer l’approvisionnement en énergie mais surtout en eau potable (le fonctionnement des réseaux d’eau nécessitant de l’énergie pour le pompage et le processus de filtration). Les refuges, quant à eux, sont aménagés dans les sous-sols d’écoles, d’hôpitaux, de bâtiments communaux ou encore de copropriétés et font l’objet d’une cartographie accessible par la population. L’accès à l’éducation y est maintenu, les cours n’étant plus assurés dans les écoles du fait des nombreuses interruptions liées aux sirènes d’alerte aux bombardements.

Sur le plan des alertes, la population a dû apprendre à vivre avec le son des sirènes, et à en reconnaître les signaux. La ville est en effet dotée de 338 dispositifs (anciens comme récents), déclenchés lorsqu’un risque de bombardement est identifié, et arrêtés lorsque la menace est écartée, chaque déclenchement signifiant une urgence à rejoindre les refuges les plus proches. Les alertes peuvent ainsi durer 2 à 3 heures. Initialement, les alertes imposaient l’arrêt des transports publics, mais après 5 mois de conflit, les usagers ont commencé à faire pression pour rentrer auprès de leurs proches lors de leur déclenchement, et les transports ont finalement eu l’autorisation de poursuivre, sous la supervision des services militaires. A noter que ces dispositifs fonctionnant à l’électricité, leur mise en route est dépendante de la stabilité du réseau et la ville a dû mettre en place des alertes mobiles par hauts parleurs pour les cas où le réseau ne serait pas disponible.

En amont de l’attaque du 24 février 2022, lorsque la situation se tend et que les populations proches de la Russie commencent à se déplacer, la mission de recenser les réfugiés est donnée à 6 « comités d’évacuation ».  Mais lors des premiers mois, l’afflux de réfugiés devient très difficile à gérer avec des flux allant parfois jusqu’à 10 000 nouvelles personnes par jour. L’impossibilité de contrôler leur identité devient un défi, puisque certains fuient sans carte d’identité ni passeport. Un registre communal est créé dans l’urgence, avant que le problème ne rentre dans l’ordre au bout de 4 à 5 semaines lorsque le fichier national d’identité est remis à disposition des autorités. En parallèle, l’éducation s’effectue intégralement en distanciel, tout comme le fonctionnement de la majorité des entreprises. Les résidents de Lviv sont également formés aux premiers secours et entraînés à faire face à des situations dangereuses, comme les bombardements ou l’exposition potentielle à des armes chimiques, voire nucléaires.

Au sein des populations, la solidarité s’organise en partie à l’initiative de la ville qui met en place une hotline d’assistance, mais également sur les réseaux sociaux avec l’apparition de nombreux groupes d’entraide, sur Telegram notamment. L’objectif est de permettre aux réfugiés de trouver des solutions d’hébergement, de la nourriture ou encore des habits. En collaboration avec la Croix Rouge, la municipalité de Lviv ouvre, dès 2022 un centre d’accueil de 100 places destiné à l’accueil des femmes enceintes ou avec enfants en bas âge fuyant les combats. Parallèlement à cela, l’aide apportée par l’Allemagne, la Pologne et la Lituanie notamment permet la construction d’un complexe regroupant un hôpital spécialisé dans la prise en charge et la réhabilitation des soldats et civils blessés au front, et un tram est mis en place pour relier cet établissement au centre-ville. 

A la fin de son témoignage, Natalia Alekseeva confie que la préparation de la population et de l’Etat à une telle crise n’était pas optimale, dans la mesure où il était difficile d’anticiper une situation d’une telle ampleur. La ville de Lviv n’était pas prête à accueillir et gérer autant de réfugiés. Elle a pu compter sur les associations telles que World Central Kitchen pour nourrir chaque jour les milliers de personnes arrivant en son sein, et les volontaires pour s’adapter et faire face. C’est ainsi que, prenant appui sur les stratégies développées lors de la pandémie de Covid, la municipalité a été en mesure de réagir très rapidement et de mettre en œuvre davantage de solutions en 6 mois que lors des années antérieures au conflit.

Maxime Thorel